Günther
Anders (1902-1992) est sans doute le premier penseur (écrivain, philosophe) à
avoir marqué clairement le bombardement nucléaire de Hiroshima et Nagasaki en
août 45 comme une rupture essentielle dans l'histoire de l'humanité, notre
entrée "dans le temps de la fin, et ce définitivement".
Une
situation absolument nouvelle et absolument irréversible s'est installée alors
: l'humanité était (et depuis, reste : pas de retour en arrière) à même de
s'autodétruire totalement. On savait que les civilisations sont mortelles, ou
les villes, ou les pays… Mais pas l'humanité – et même l'ensemble de la
biosphère. Et on ne sait même pas s'il y a des extraterrestres quelque part… ou
juste de la vie où que ce soit dans l'univers. (Message aux éventuels
extraterrestres : « Ça serait bien que vous existiez, parce que ici on n'en a
plus pour longtemps. »)
Au
delà de "la bombe" (le nucléaire militaire), Günther Anders a continué
à militer contre le nucléaire en général (dit "civil").
Je
cite (Extraits de "Et si je suis désespéré que voulez-vous que j'y fasse
?". Günther Anders, entretien avec Mathias Greffrath. 1977. Editions
Allia, 2007).
GA : «
On nous a traités de semeurs de panique. C'est bien ce que nous cherchons à
être. C'est un honneur de porter ce titre. La tâche morale la plus importante
aujourd'hui consiste à faire comprendre aux hommes qu'ils doivent s'inquiéter
et qu'ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime. Mettre en garde
contre la panique que nous semons est criminel. La plupart des gens ne sont pas
en mesure de faire naître d'eux-mêmes cette peur qu'il est nécessaire d'avoir
aujourd'hui. Nous devons par conséquent les aider.
MG : — Cela me
semble plus résigné qu'enthousiaste.
GA :
— Enthousiaste ? Vous croyez que c'est un plaisir de gueuler jour après jour,
années après années, contre le nucléaire ? Rien n'est plus ennuyeux. Comme
j'aimerais m'asseoir, comme les philosophes pouvaient encore le faire il y a
cinquante ans… […] Qu'il était riche et varié le champ des thèmes que les
philosophes ont pu labourer ! Qu'elle est devenue étroite et pauvre, notre
situation, pour que, jour après jour, nous ne puissions rien faire d'autre que
répéter ce "vous n'avez pas le droit" ou bien gueuler.
(On croirait entendre Greta Thunberg et son :
« Comment osez-vous ?! »)
MG : — Si, face à l'échec
de ce cri, le désespoir nous saisit, de quoi se nourrit alors l'espoir, et où
trouver la consolation et le courage pour continuer ?
GA :
— Le courage ? Je ne sais rien du
courage. Il est à peine nécessaire à mon action. La consolation ? Je n'en ai pas encore eu besoin. L'espoir ? Je ne peux vous répondre qu'une chose : par principe,
connais pas. Mon principe est : s'il existe la moindre chance, aussi infime
soit-elle, de pouvoir contribuer à quelque chose en intervenant dans cette
situation dans laquelle nous nous sommes mis, alors il faut le faire.»
Il est clair que tout ce qu'il disait là en 77 à
propos de la menace nucléaire s'applique parfaitement à l'actuelle menace
climatique.
•••
Sur notre attitude face à la catastrophe
climatique, j'ai deux arguments pragmatiques (qui n'en font qu'un, en fait) :
– le principe de précaution : même si
ce n'est pas une certitude absolue, et étant donné l'enjeu, s'il y a une seule
chance que nos activités soient responsables, alors agissons sur ce point.
– argument connexe : si c'est la
faute conjointement au soleil, aux variations d'orbite terrestre, au volcanisme
ET aux activités humaines, quel est LE point sur lequel nous pouvons influer ?
Uniquement les activités humaines… donc au boulot… (Économies d'énergie avant
tout.)
- en complément, cette production
humaine de CO2 (et autres gaz à effet de serre) m'apparaît comme le résumé de
tout notre mode de vie fondé sur la surconsommation de tout (ressources
naturelles, espace et temps). Donc, même s'il s'avérait faux qu'une réduction de
nos émissions de CO2 empêchât la surchauffe de continuer, ce serait au moins un
bon prétexte pour entrer dans une vaste démarche d'économies d'énergie, de
pétrole, de charbon, de plastique, de produits chimiques, pesticides et autres,
de consommation de viande, de déforestation, de "production" de
déchets, d'accélération de la vie quotidienne, de guerres, etc.
Et ça, ça
serait déjà pas mal !
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