« […]
rien ne vaut l'humour noir pour voir, en se forçant un peu, la vie en
rose. »
(Roland
Stragliati, Fiction n° 206, 1971)
« Comment s'en débarrasser ? », c'est
l'éternelle question pleine de rhinocéros et de cantatrices (chauves). On fit
une réunion de crise à la Mairie. Masqués, on discuta longtemps de la décision
à prendre. Un moment, surnagea l'idée qui fallait l'éliminer, Lui, ce connard
de Jésus, Le chasser ou L'abattre. Mais n'était-Il pas immortel ? Ou, si
on Le tuait, ne serait-Il pas capable de se ressusciter Lui-même, une fois de
plus ? Pour finir, on s'arrêta sur une idée plus rusée : on allait jouer
les morts. Comme l'otage d'un massacre de masse, blessé ou indemne, qui fait le
mort pour échapper à la balle qui l'achèverait. On cessa donc toute activité,
on s'étala dans les rues en toussant nos poumons dans nos coudes et (désolé) en
lâchant dans nos frocs… ne jamais oublier ce détail : la mort, ça pue la
merde.
Ce connard de Jésus continuait Ses promenades
miraculeuses, ressuscitait au fur et à mesure des faux cadavres qui se
mettaient à jouer les mortambules,
lents, très lents, balbutiant trois mots, et puants (désolé). Un rôle de
composition sans problème, même pour des comédiens amateurs. Pour savoir
toujours où on en était, qui était quoi, vrai ou faux mort debout, on enferma
tous les vrais mortambules dans
l'église en leur confisquant leurs smartofones. Ils se laissèrent faire
tranquillement. Il n'y eut aucune violence.
On espérait que, une fois que Jésus (ce connard)
aurait, croyait-Il, réveillé tout le monde dans le village, Il irait voir
ailleurs sans barguigner, et grand bien lui fasse.
Il ne partit pas. (Quel connard, ce Jésus !) Il
resta figé sur place devant la Mairie, en stase, tel un robot aux abonnés
absents, à court d'énergie. Autour de Lui, nous, on continuait à faire semblant
de mortambuler en réfléchissant à « comment
s'en débarrasser ? ». Tout en continuant à agir en Lazare(s) sous
anxiolytiques, lentement, très lentement, on Le prit par surprise et on Le
cloua sur le portail de l'église comme une vulgaire chauve-souris sur la porte
d'une grange. C'était facile et sans douleur : les trous dans Ses mains et Ses
pieds étaient déjà faits. Il ne pouvait plus bouger, c'était déjà ça. Si on
continuait à mourir (parce que la Peste Couronnée continuait à sévir) loin de
Sa vue et de Ses mains faramineuses, peut-être qu'Il nous ficherait la paix.
Mais non. Pendant la nuit, Il se décrocha, ou fut
décroché par un mortambule traître
échappé de l'église par la sacristie et qui commençait à être en manque de
poissons et de lapins en chocolat multipliés. Il en profita même pour libérer
les relégués qui s'égayèrent dans les prairies piquetées de pâquerettes à la
recherche des œufs de Pâques.
On ne savait plus à quel saint se vouer, alors on en
revint à l'idée primitive de Le tuer, ce connard de Jésus. Infusion de ciguë, amanites
tue-mouche, concert de deathmetal,
concours de tir (les chasseurs ressuscités n'étaient plus capables de rien mais
ils nous avaient abandonné leurs carabines), injections de sang de pestiférés,
jets de première pierre suivie de bien d'autres. Et bien d'autres tentatives sans
foi ni loi. Ça rigolait pas. Percé et couturé de partout, cabossé mais
increvable, l'œil vitreux, Il commençait à ressembler à la créature de
Frankenstein. Perdant des pièces et du lockheed, Il se traînait à la vitesse de
ses amis post mortem, mais
voilà : Il était immortel –
par définition.
ÉPILOGUE
Enfin, une voix tonnante venue du ciel se fit
entendre :
« Junior ! C'est fini les conneries,
maintenant ! Tu rentres à la maison ! »
La tronche enfarinée, Il rentra donc à la maison, dieumerci,
s'élevant au dessus de la place centrale du village comme une montgolfière
zigzagante, tandis que ses ouailles mortambules
contemplaient Son ascension avec les yeux de caniches en adoration et pleuraient
leurs derniers fluides corporels. Très vite ensuite, puisqu'Il n'était plus là
pour les nourrir de pain et de chocolat, ils se desséchèrent sur place au point
de se réduire à l'état d'ectoplasmes translucides qui s'envolèrent au premier
coup de vent.
On en trouve encore par ci par là, affalés sur les prés
entre les vieilles bouses de vaches et les pâquerettes ou accrochés dans les
branches des pruniers déjà en fleurs. Une allumette et ils brûlent comme de
l'amadou avec une délicieuse odeur d'encens.
On respire enfin.
FIN